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Au programme de la journée: la cathédrale de Monreale et le parc archéologique de Sélinonte. L’église est à trois kilomètres de l’hôtel Baglio Conca d’Oro que nous quittons provisoirement puisque nous pensons y revenir, samedi prochain, pour passer notre dernière nuit en terre sicilienne.
Nous empruntons un long escalier qui nous permet d'accéder au parvis du saint Lieu. L'extérieur du Duomo n'est pas particulièrement marquant bien qu'il ait belle allure avec sa façade tapissant le fond d'une place aérée, déjà pleine de touristes avançant en cascades fatigués. Nous entrons dans l'édifice renommé pour contempler les mosaïques byzantines. Bien que nous ayons déjà vu maints chefs-d'œuvres de l'art byzantin, ne serait-ce qu'à Venise ou à Ravenne, nous avons conscience d'être face à un ensemble exceptionnel.
L’église ruisselle d’éclats dorés qui suintent doucement des murs. Il faut un temps d’accommodation pour que l’œil discerne les figures représentées. Le Pantocrator trône en majesté dominant le vaisseau ecclésial de son omniprésence : il occupe tout l’espace, au fond de l’abside. La position un peu contournée de sa main bénissante fascine par sa grande délicatesse d’exécution. Il est difficile d’échapper à son regard magistral et lointain. Comme un metteur en scène, il semble veiller sur le déroulement des séquences de l’Histoire Sainte qui déroulent leurs péripéties sur les parois de la grande nef animée. Ainsi s’étagent les scènes de L’Ancien et du Nouveau Testament. L’épopée de Noé est remarquablement lisible et... saisissante la façon dont l’arche est posée entre deux pics du Mont Ararat. Saisissant aussi, le vigoureux coup de genou de l’Ange courroucé, chassant Adam et Ève du Paradis terrestre, tous deux, fuyant comme de pauvres hère, vêtus de peaux de bêtes. Les plis des longues robes angéliques s’envolent dans un savant jeu de pieds dansants et les ailes frémissent sur des fonds colorés. L’on se sent à la fois hissés dans les hauteurs célestes et empêtrés dans notre lourdeur terrestre. Le temps est suspendu et seul dans la foule, happé par le tourbillon statique d’une lumière enveloppante qui nous grise. Les étoiles se multipient dans ce fourmillement de mosaïques. Il me semble retrouver les notes heureses du chant de Dante Alighieri quand il pénétra dans la rosace du Paradis et que son rire sonna en éclats portés par les vagues de la lumière divine.
Un peu étourdis comme pris de vertige, nous passons dans le cloître , lui aussi admirable avec ses colonnes géminées, souvent incrustées d’éclats de mosaïques, appétissants comme les délicates pâtisseries siciliennes. Les chapiteaux historiés nous montrent des figures tout en finesse. Une fontaine dans un angle du cloître fait entendre le doux bruissement de l’eau perlant de la gueule de douze lionceaux miniatures qui couronnent le faîte d’une colonne de pierre sombre. Le charme paisible de l’espace conventuel opère une fois de plus. Nous sommes dans l’antichambre du Paradis que nous venons de quitter.
À midi, nous arrivons à Sélinonte et acceptons l’une des petites voitures électriques nous sont proposées à l’entrée, pour 12 € par personne. Nous serons ainsi véhiculés vers les trois zones principales des fouilles. À l’usage, nous constatons que ce mode transport silencieux et trépidant (à cause de l’état de la piste) nous permet de voir toute les fouilles sans fatigue et de parcourir ainsi plus de cinq kilomètres. Ce qui ne nous empêchera pas d'arpenter à pied les sites archéologiques, une fois déposés devant les différents temples.
Deux découvertes majeures : le premier temple qui nous avons vu, le temple E est le mieux conservé. Remonté il y a une cinquantaine d’années, il s’impose par sa grande taille. La couleur de ses pierres est admirable, ses tons ocres éclairent le gris du ciel nuageux. Tout près, des chaos de colonnes brisées étalent leurs tambours; des pièces d’entablement jonchent les degrés encore en place. La seconde découverte nous mène aux remparts de la ville : 4,5 mètres d’épaisseur avec deux tours et des fossés artificiels. La qualité des blocs utilisés, de grande taille et parfaitement équarris nous montre une quasi organisation industrielle lors de la réalisation des fortifications.
Après une longue promenade de plus de deux heurses, nous quittons Sélinonte ; demain nous verrons la Vallée des temples d’Agrigente et après demain, si les dieux le veulent ! nous serons devant le temple d’Apollon et le théâtre grec de Syracuse. Nous flottons dans l'espace de la Magna Grecia.
Nous trouvons notre hôtel, sans trop de peine: il s'appelle le Baglio (ce qui veut dire ferme en dialecte sicilien) Baglio della Luna. Nous nous installons pour une nuit. Un peu plus tard, au restaurant de l’hôtel : surprise ! nous retrouvons avec plaisir, nos Luxembourgeois : Monique et Jean-Claude, près de qui nous avions dîné la veille au soir. Joyeux repas dans une spacieuse véranda qui donne vue sur la vallée des temples : trois nous apparaissent bien illuminés. Puis soudain, un crépitement sonore ; des trombes d’eau s'abattent sur le toit. Grosse pluie méditerranéenne, très long orage aux éclairs bleus et aux lourds ronflements qui plombent le toit résistant ! dans quel état sera la vallée demain matin ?
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