mercredi 22 décembre 2010

Les lutteurs bretons de Loëys Rest à Pont-Aven

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"Ah ! ces fameux LUTTEURS !“ Me revient tout à coup à l’esprit cette exclamation de Marie-Noëlle Révérend, notre cousine, “à la mode de Bretagne“ qui dit bien l'étonnement et le plaisir que nous avons éprouvés à Pont-Aven devant la sculpture des Lutteurs, groupe devenu quasi légendaire pour les descendants de la famille Le Reste. Cette œuvre d’art fut fabriquée à Scaër “pays des luttes et des joyeux chanteurs aux savantes disputes“, ce bourg de Cornouailles qu’évoque Brizeux dans son poème “Les Lutteurs”. Nous sommes allés à leur rencontre.

L'épais brouillard qui nous enveloppait dès la sortie d'Orléans, nous a lâchés vers Loudéac. Un ciel dégagé, des échancrures bleues, le sourire du soleil, tout annonçait une belle journée. L'arrivée en terre de Bretagne me procure toujours un léger tremblement intérieur, signe que je retrouve mes racines. Je me projetais en pensée dans le village de Scaër et chantonnais des bribes de la mélodie que Chateaubriand composa : “combien j’ai douce souvenance du joli lieu de ma naissance”.

Mais c’est à Pont-Aven et non à Scaër que nous nous étions donnés rendez-vous lundi 14 novembre 2010 après les Fêtes de Toussaint, sur la place principale de la petite ville cornouaillaise dont le musée (comme chacun sait) s'enrichit d'œuvres de Gauguin et autres bons artistes de l'École de Pont-Aven. Quant à mon frère Mikaël et sa femme Jisket, ils avaient fait route depuis leur maison de Penkelenn, sise non loin de Scaër. Venus de la région parisienne, quelques membres de la famille Révérend étaient au rendez-vous. Pleins de curiosité, ils souhaitaient voir les fameux Lutteurs, une “première“ pour Marie-Noëlle et son fils Frédéric. Ma cousine Hélène Le Bihan, fille de Marcelle Derrien, ma marraine, accompagnée de son mari Gérard Scibérras, nous a rejoints devant le Musée Gauguin. Depuis quelque temps, nous aimons nous revoir pour échanger des souvenirs croisés qui nous tiennent à cœur… mémoire à fleur de peau.

Cette journée de retrouvailles autour d’un “monument“ familial avait été soigneusement préparée. Mon frère Mikaël s’était chargé des négociations avec l’actuel propriétaire du groupe sculpté par notre arrière petit cousin, Loëys Rest. Personnellement, je garde le souvenir, bien qu’un peu flou, de ces temps lointains où j’accompagnai, ma mère à Pont-Aven. Elle aimait y venir comme pour un pèlerinage. Anne Kersulec, alors gardienne du groupe de Lutteurs, nous avait invitées à contempler son Trésor. Me reste une double image : d’abord, la silhouette debout d’une sorte de momie “embaumée“ de linges blancs que l’on déroulait pieusement, selon les règles d’un rituel, me sembla-t-il. Puis, peu à peu, se dévoila le bloc sombre et luisant de deux formes qui prenaient vie. Deux hommes enlacés dans un embrassement farouche, s’imposaient avec force. Je fus étonnée, admirative et surtout frappée de l’intérêt qu’y portait ma mère. Pour elle, comme pour sa sœur, cette sculpture faisait l’orgueil de la famille Le Reste. Cette sculpture des Lutteurs scaërois de Loëys Rest m'a accompagnée souterrainement pendant des années comme une figure endormie, ensevelie dans les Limbes du souvenir, jusqu'au jour où une visite à mon cousin Robert Boucher vint la réveiller. J'ai alors lu l'article qu'il avait fait paraître dans le Télégramme, quotidien régional. Robert, fils de notre oncle Camille, "fameux" sculpteur lui aussi, fut alors la mémoire ressuscitée qui remit debout Christien et Toupard, Ils émergèrent alors et resurgirent nettement devant moi, pour ne plus me quitter.

Il y a une quinzaine d’années, Hélène Scibérras avait déjà provoqué une réunion entre Anne Kersulec et nos deux mères, Marcelle et Marguerite. Hélène en conservait un souvenir très net et songeait déjà qu’une telle œuvre pourrait orner, un jour, la salle d’un musée des Beaux-Arts, en Bretagne. Il nous arrivait d’en parler. Là-dessus, vint se greffer un surgeon inattendu de l’atelier d’ébénisterie de Jean-Joseph Le Reste, notre arrière grand-père ; entreprise florissante dans la Cornouaille des années 1880. L’un des apprentis de cet atelier s’appelait Corentin Le Pape. Nous ignorions tout de son destin quand il réapparut, pourrait-on dire, en la personne de sa petite fille, Marie-Noëlle Révérend. L’énorme machine enregistreuse de toutes les histoires et de tous les potins de la planète, la toile géante appelée Web, fit son office de connexion. Marie Noëlle en recherche de ses racines bretonnes aidée par son fils, Frédéric passionné de généalogie tira le fil ténu de la pelote que ma mère tissa sous forme d’un petit livre de souvenirs paru en 1997, un an après sa mort. Il prit place sur le site Gaidig créé par mon mari Claude. En l’occurence, je ne vois rien de plus approprié que de reprendre ce qu’écrivit ma mère, en préalable à cette visite que nous allions rendre à Youn Martin, l’actuel héritier de cette pièce de musée qui repose aujourd’hui dans sa maison de Pont -Aven.

Voici le portrait que brosse ma mère, dans le chapitre où elle évoque sa tante Françoise de Pont-Aven épouse de l’oncle Louis Le Reste, habile ébéniste de l’atelier de notre arrière grand-père.

Un autre nom restait aussi, après bien des années, dans la mémoire de l’atelier qui s’en glorifiait : le compagnon Loëys Le Reste, de la toute première équipe de 1883. Il se trouvait être un cousin germain du grand-père qui le rappelait volontiers. Original solitaire, il était célèbre dans le pays des Scaër et ses environs pour son talent de sculpteur qui, comme œuvre maîtresse, lui fit tailler dans un bloc de chêne, un groupe de lutteurs aux prises, grandeur nature, d’une très belle facture ; Le musée de Quimper lui en offrit, dit-on, “une petite fortune” qu’il refusa. Et… le groupe, déjà remarqué à l’exposition à Vannes, fit route vers l’Amérique et l’exposition de Chicago jusqu’à Bordeaux… d’où il revint, ayant laissé filer le paquebot qui devait l’embarquer. Ce qui affecta le grand-père, plus peut-être que le cousin Loëys, très en marge de ces contingences.
Ce très beau groupe, après avoir fait durant des années, les beaux jours de l’hôtel-restaurant Kersulec, à Scaër, où il fut proposé en bonne et due place aux regards de la clientèle et des visiteurs intéressés, gît maintenant, à Pont-Aven chez l’héritière Anne, momifié dans dans des bandelettes de vieux linges, bien à l’abri des importuns. En frémit-il dans sa tombe, le facétieux cousin Loëys ? lui qui en, en guise de reconnaissance, se contenta, peut-être, de la notoriété que lui valut, un jour de mardi gras , la jument qu’il peignit de vert, qu’il exhiba et qui en creva, la pauvre, victime de la fantaisie cruelle d’un original en goguette ? Pas sûr ! Il en fallait d’autres à cousin Loëys ! un “mécène“ du coin, le baron de Kerjégu, proposa de prendre en charge ses études aux Beaux-Arts de Paris ; il s’en fut donc jusqu’à… Lorient, puis s’en revint, libérant à chaque tour de roue la nostalgie qui l’étouffait. Il mourut à tente ans, d’avoir trop aimé la noce, le chouchenn et le bon cidre.
Cousin Loëys, sous la pierre tombale devant laquelle je m’arrête , au cimetière de chez nous , depuis longtemps tu n’es plus que poussière mêlée à l’humus du terroir que tu aimais. Dors, va ! Un jour peut-être, les lutteurs Christien et Toupard que tu as immortalisés sous la fouille de tes ciseaux et la caresse de tes doigts, sortiront de leur suaire de vieux chiffons, pour témoigner de ton âme et de ton talent !

Ce lundi après-midi du 15 novembre 2010, nous étions prêts à franchir le seuil de la maison de Youn Martin. Son accueil aimable, plein de naturel quoique réservé, nous mit vite à l’aise et nous le suivîmes en procession comme les fidèles d’un culte secret… Après avoir traversé un hangar, débouché sur un beau jardin et grimpé une volée de marches, nous entrâmes dans le dédale de la maison. Il me semble que nous avons emprunté un couloir avant d’entrer dans une pièce assez sombre et fort encombrée. Nous étions silencieux, peut-être légèrement émus… curieux sûrement ! Comme si nous pénétrions dans le naos d’un temple sacré, en attente d’une révélation mystérieuse.

Peu à peu, les meubles sortirent de la pénombre et guidés par la voix de notre hôte, nos regards convergèrent vers l’objet du Culte familial. Chacun prit place : qui sur une chaise, qui sur un fauteuil, qui sur le rebord d’un divan ou debout pour mieux embrasser l’espace, prendre des photos ou actionner une mini-caméra. Youn, visage souriant, débarrassa lentement la sculpture des quelques pièces de tissu blanc qui la couvraient par endroits. Il s’animait en ce faisant et répondait volontiers aux questions posées à voix basse par l’un des assistants. Ainsi, je sus que ce que ma mère avait pris autrefois pour des bandelettes de conservation, n’étaient autres que les pantalons mi-longs ou bragou de couleur beige clair portées par les lutteurs, ainsi que le voulait l’usage. Nous les vîmes alors, dans leur parure ligneuse de chêne clair et luisant qui fleurait bon la cire d’entretien. Bien qu’ils fussent assez peu mis en valeur, placés contre le mur près de la porte d’entrée, face à la pâle clarté venue des fenêtres à carreaux, ils illuminaient la pièce de leur incroyable présence.

Nous rentrâmes en contemplation. Devant nous, surgissait le couple enlacé dans “la lutte debout“ sport celtique de combat appelé “gouren”. Les Bretons venus de Grande-Bretagne le pratiquaient depuis le IVe siècle de notre ère. Sans doute, les lutteurs Christien et Toupard, immortalisés par Loëys Rest, maintenant soumis à notre attention, avaient-ils prononcé en breton, le serment d’usage avant de s’engager dans un assaut martial.

M'hen tou da c'houren gant lealded
Hep trubarderezh na taol fall ebet
Evit ma enor
Ha hini ma bro.
E testeni eus ma gwiriegezh
Hag evit heul giz vat ma zud-kozh
Kinnig a ran d'am c'henvreur
Ma dorn ha ma jod.

Je jure de lutter en toute loyauté
Sans traîtrise et sans brutalité
Pour mon honneur
Et celui de mon pays.
En témoignage de ma sincérité
Et pour suivre la coutume de mes ancêtres
Je tends à mon adversaire
Ma main et ma joue.

Les voilà devant nous. Ils sont aux prises, corps serrés dans la fougue de l’étreinte qui les tient étroitement enlacés. Leurs jambes se mêlent dans un habile croc-en-jambe qui doit précéder la chute d’un des lutteurs : dès qu'il sera mis à terre, sur le dos, avec la touche des épaules, le jury proclamera la victoire du plus fort. Tels qu’ils sont là, debout devant nous, pieds nus solidement plantés sur le socle de bois figurant l’aire de combat, ils vivent intensément ce moment exaltant où l’âme chevillée au corps, ils fusionnent en se mesurant, en se repoussant, galvanisés par l’effort et l’envie de gagner… puis de crier “Lamm” ou “Victoire”. L’enjeu est de taille, en effet. Devant le public en liesse et partisan, les lutteurs se doivent de satisfaire l’orgueil de la localité qui les a choisis. Car chacun de ces lutteurs représente sa paroisse et veut l’honorer en rivalisant. “Que le meilleur gagne !“ Qui dit paroisse dit clocher. Derrière leurs têtes fièrement dressées, je vois se profiler en flèche, les deux clochers des églises néo-gothiques de Scaër et de Guiscriff qu’ils symbolisent dans leur lutte sportive.


Qui dit combat, dit ordinairement vainqueur et vaincu ! comment alors, se peut-il alors que ces deux hommes farouchement aux prises, puissent nous donner une impression d’égale puissance ? que l’un n’ait pas l’air d’écraser l’autre dans la dangereuse ivresse du combat ?
Cela n’est pas dû au hasard. On sait que le cousin Loëys, né à Scaër en 1862, a voulu rendre hommage à ses deux grands-pères, anciens champions de lutte bretonne réputés en cette seconde moitié du XIXe siècle. Après leur mort, Il sculpta ses contemporains, le Scaërois Christien et Toupard de Guiscriff, lutteurs qu’il admirait. Il travailla à ce que leur gestuelle nous les montre de même force. . Il leur a donné la même stature, 1m 60 environ, la tête de Christien ne dépassant pas celle de Toupard, mêmes cheveux plaqués qu’un jonc tressé rassemble sur la nuque, même musculature souple et déliée, visages empreints d’une forte tension physique, semblables à des frères jumeaux. Un même flux d’énergie les traverse et c’est une danse autant qu’un combat qu’ils exécutent devant nous. Les 200 kilogrammes que pèse le bloc sculpté semblent se répartir dans l’équilibre des masses.

Écoutons notre cousin expliquer sa méthode de travail : “J'avais fait deux bonshommes en paille bourrée dans les chemises et dans les culottes que j'avais attachés avec des cordes l'un contre l'autre… Je m'habillais avec des costumes et luttais seul. Pour faire les cheveux, j'avais pris une boule que j'avais lacée de chanvre autour. Pour faire les pieds, je me suis servi de mes pieds… Les proportions, je les prenais de moi-même sur un compas de bois que j'avais arrangé”.

Travail de longue haleine qu’il peaufina pendant 10 ans, toute sa vie d’adulte puisqu’il est mort à 30 ans. C’est donc son Mémorial, ses “SCULPTEURS D’OUTRE-TOMBE“ pensai-je en souriant, l’associant malicieusement à notre grand barde Chateaubriand. J’avais l’impression que chacun d’entre nous s’était niché dans sa rêverie, les yeux rivés sur Christien et Toupard ressuscités.

Nous les admirons en bloc et en détail. Le travail, réalisé sur le tronc de chêne devenu sculpture anthropomorphe, impressionne par sa qualité plastique: l'élan général, le ciselage soigné des détails, l'aspect tantôt granuleux tantôt poli des surfaces. L’on sent combien les outils : gouge, ciseaux, biseaux, plates, ont dû s’activer pour creuser, modeler, affiner, buriner des corps d’hommes en lutte, portant la tenue de rigueur en la circonstance.

La chemise à manches longues largement échancrée laisse voir la poitrine nue. Le modelé du tissu qui couvre les bras préhensiles et nerveux révèle une telle finesse d’exécution que, fasciné, l’on suit du regard les multiples pliures et froissements faits par les mains et les bras en bataille. La peau nue des mains des lutteurs montre les veines qui saillent dans l’empoignade. Elles se croisent en ceinturant le dos de l’adversaire qui plaque les siennes, écartées, contre le dos de son rival. Les visages fermes et tendus offrent un front lisse et poli sous la touche légère des doigts que nous promenons subrepticement sur leurs formes d’athlète, pour mieux sentir la densité de la matière dont ils sont nés. Leurs pieds nus, fins et nervurés sont solidement arc-boutés pour soutenir le poids des jambes revêtues d’un pantalon légèrement bouffant, prolongé de guêtres qui épousent le mollet jusqu’à la fente déboutonnée à hauteur de cheville.

Je les regarde longuement, surprise du délié de leurs membres, de la sveltesse de ces corps jeunes que l’on devine nerveux et bondissants. Mes souvenirs infidèles les voyaient plus lourds, plus trapus, plus massifs… mais ils sont pareils aux dieux du stade si souvent représentés par les artistes gréco-romains amoureux de beauté idéale. Leurs visages juvéniles, glabres et farouches revêtent, à mes yeux, une séduction particulière : les longs cheveux plaqués sur le crâne forment de belles tresses nouées d’un jonc, sur l’encolure qu’elles protègent. Cette coiffure épouse parfaitement les contours de leurs fiers visages aux formes pures et ciselées : nez aux ailes palpitantes, arcades sourcilières ombrageant les yeux d’ombre, méplats des joues creuses, lèvres fines entr'ouvertes, on les sent crispés dans l’extrême tension de la lutte. Beaux comme l’Antique ! pensai-je intérieurement.

L’examen attentif auquel nous nous livrons, permet de voir chaque pli de la chemise et du pantalon froissé avec minutie, habileté et réalisme. La poche du bragou côtelé s’est ouverte et baille naturellement dans le désordre de la lutte, le passant de ceinture serre un pan de chemise ramassé et noué pour mieux coller aux corps pris dans l’étreinte du combat. Les tendons de cheville saillent dans l’enroulé du croc-en-jambe. C’est un plaisir d’esthète que nous éprouvons à les regarder. Ils témoignent du talent éclatant de l’artiste qui les a sculptés,il y a 120 ans. Je ne peux refouler le sentiment de fierté que j’éprouve à savoir que je suis issue du même rameau familial que Loëys Rest. Je ne suis certainement pas la seule à le ressentir.

Nous remercions chaleureusement Youn Martin grâce auquel nous avons pu longuement contempler ce chef-d’œuvre, dans l’intimité familiale de notre petit groupe d'amateurs.

Tous deux, maintes fois photographiés, symbolisent la Lutte bretonne aujourd'hui et c’est rendre justice au génie de notre ancêtre. Génie du lieu, ancré dans sa terre heureuse plantée d’arbres nourris de force et d’énergie, terre où coulent des rivières souples comme les arabesques des hommes quand ils jouent : tantôt ils dansent en chantant le laridé, tantôt ils luttent pour se sentir puissants et fraternels. Notre cousin a fait souche de cette sculpture de bois qui est son grand œuvre. Artiste-né, il savait voir ce que le commun des mortels ne soupçonne pas.

Honneur aux mânes celtiques de notre ancêtre sculpteur.
Enor da Anaon hon hentad kizeller
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Louis, (1881-1928), époux de Françoise de Pont-Aven, un chapitre du livre "Une enfance à Scaër de Marguerite Floc'h.

Loeiz Rest, par Robert Boucher, janvier 1996.

Portrait. Loeïz Rest, sculpteur des Gournerien, dans le Télégramme.com (31/10/2010).

Histoire du gouren (XIXe-XXIe siècles), l'invention de la lutte bretonne, thèse de doctorat en S.T.A.P.S. de Melle Aurélie EPRON, p. 225.

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vendredi 10 décembre 2010

Une semaine à Saint Lunaire

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Cette petite station balnéaire, située immédiatement à l’ouest de Dinard, roupille aimablement dans la torpeur estivale que soleil et chaleur désertent pour le moment. Il faut dire que le ciel grisonnant éloigne les baigneurs et favorise nos déplacements touristiques.

Nous sommes arrivés jeudi 22 juillet 2010, après un sympathique repas pris à Rennes chez Jean-Jo et Anne-Marie, nous prenons la route de Saint Lunaire. Marie Anne Battais, belle-mère de Morgan nous accueille dans son petit appartement, bien localisé au centre de la station balnéaire, à 50 mètres de la plage. Elle fait grise mine sous un ciel nuageux sans perdre de son attrait grâce au sable fin et aux rochers l'enserrant. Notre hôtesse nous donne les conseils d’usage avant de s'en aller puis nous prenons nos marques: déballage de nos affaires et repérage des commerces. Paisible soirée.

Vendredi, départ pour Fougères — Cité des chausseurs, aujourd’hui disparus. D'abord nous faisons un arrêt à Dol de Bretagne célèbre pour sa cathédrale, chef-d’œuvre de l'art gothique normand, siège de l'évêché et première ville religieuse de Bretagne... pourtant la cité compte actuellement moins de 5 000 habitants.

Il y a foule ! sans défoulement intempestif, d'où l'agrément de notre balade ! Nous remontons la « Grande Rue des Stuart » où le pittoresque de nombreuses maisons médiévales diversement colorées, avec ou sans bardeaux, enchante l'œil ; Nous "fouinons" à la recherche des écrivains disparus, toujours présents dans nos mémoires. Sur la façade de l’ancienne Auberge Grand’Maison : un buste de Victor Hugo et la plaque attenante nous apprennent le passage du grand homme, accompagné de sa fidèle Juliette, en l'année 1836 : lors du voyage annuel que "Toto" accordait à sa "Juju" qui devait s'en contenter. La plaque précise aussi que la dépouille de Chateaubriand — qui fut collégien chez les Eudistes de la ville pendant deux ans — y fut veillée dans la nuit du 17 au 18 juillet 1848, avant d'être inhumée au moulin du Grand Bé en terre malouine, seul face aux fureurs océaniques.

Nous visitons un musée historique et d’art populaire, situé dans la belle demeure des chanoines appelée la Trésorerie. Il nous parut désuet et même dépassé malgré une belle iconographie. Témoignage zélateur de la Chouannerie, mémoire encore brûlante. Sa principale qualité, selon moi, est a modicité de son droit d’entrée.

À l’entrée de la cathédrale, deux jeunes filles proposent leur services de guides bénévoles de la SPREV. Nous apprenons que le bel édifice, d'apparence austère s’appelle Saint-Samson du nom du premier évêque qui fonda ici un monastère au VIe siècle après avoir fait des miracles pour asseoir sa renommée. C’est un vaste édifice gothique édifié en granit dont les tours ont des allures de donjons ; la tour sud du XVe siècle est flanquée d'un lanternon. Son chevet plat nous rappelle la cathédrale anglaise de Salisbury.
L'intérieur majestueux s'ouvre sur une longue nef baignée des éclats de lumière que déverse une superbe verrière. Le choeur de belles dimensions est tapissé de 80 stalles de chêne sculpté. Les miséricordes toutes décorées de visages individualisés et finement travaillés nous donnent la mesure du talent d'un ou des sculpteurs anonymes auxquels nous rendons hommage. Nous sortons par le grand porche qui flanque curieusement le côté droit de la cathédrale.

Puis nous restons déjeuner à Dol car l'indispensable parapluie de mon épouse gît oublié dans le petit musée qui ne rouvrira ses portes qu’à 14 heures. Bon repas à la Grabotais, dans une ancienne demeure du XVe siècle pourvue d’une grande cheminée accueillante. Le feu pétillant permet les grillades auxquelles nous avons fait honneur.

À Fougères, nous nous arrêtons à proximité du Château médiéval d'une belle teinte ocrée, énorme forteresse flanquée de treize tours debout, bâtie sur un éperon rocheux. Bel exemple d'architecture militaire que nous nous contenterons d'apprécier de l'extérieur.
Nous visitons d'abord l’église St Sulpice qui contient, entre autres curiosités, deux retables médiévaux en granit très travaillé ; puis nous montons dans les hauts de la ville pour photographier la maison et la statue du Marquis de la Rouërie, ami et combattant auprès de George Washington, pendant la guerre d'Indépendance américaine. Ce noble breton écrivit au président de l'Union une lettre de recommandation qu'il remit au jeune François-René de Chateaubriand, venu le visiter en partance pour le Nouveau Monde. Belle balade dans une ville aux rues très abruptes. Nous passons devant l'hôtel particulier qu'occupa un temps l'une des sœurs de Chateaubriand. L'on remarque maints commerces désertés (il est loin le temps où Fougères s'enrichissait de la vente de chaussures). Le tourisme paraît la principale activité. La municipalité a su aménager des trouées vertes qui offrent de beaux panoramas sur son château très visité, heureusement !

Samedi : Saint-Lunaire et Saint Malo.
La grisaille qui enveloppe Saint-Lunaire nous incite à un moment de farniente. Ainsi nous reprenons des forces après les escalades gymniques de la veille. La plage de sable fin nous tend les bras mais le temps nous en éloigne… Vers 16 heures, nous allons revoir la cité corsaire de Saint Malo. Balade d’une heure trente sur le Sillon à marée montante. Me reviennent des souvenirs vieux de plus de quarante ans qui vont se raviver chez ma cousine Claudine Viviani que je reconnais bien, malgré les nombreuses années écoulées depuis notre dernière rencontre. Nous faisons connaissance de son époux Dominique Lucas, autour d'une table bien garnie : souvenirs, souvenirs… Ce sont des hôtes remarquables, le repas et leur gentillesse en témoignent.

Dimanche : Combourg. Comme Marie-Hélène prépare une conférence sur le Voyage en Amérique de Chateaubriand… ça tombe à pic… la visite s'impose ! Émotion de ma femme devant l'un des lieux mythiques où vécut François - René, adolescent, en compagnie de sa sœur Lucile, enragé de désirs, en quête de sa Sylphide, fuyante créature née de ses rêves exacerbés par la sauvagerie et la magie de cette terre boisée de Brocéliande.
Aujourd'hui le château apparaît nu parce que débarrassé de la végétation ancestrale qui l'auréolait, dépouillé des masures paysannes qu'il dominait. Il a perdu en pittoresque et en poésie ce qu'il a gagné en notoriété ! les Mémoires d'Outre-Tombe irriguent aujourd'hui les mémoires touristiques, alertées par une publicité bien ciblée.
Une femme, estampillée guide "autorisée" attend notre groupe compact au pied du perron qui mène aux entrailles de la forteresse de Combourg. Brillante conférencière, dotée d’une voix forte et bien posée, elle nous a promenés, enchantés, citant des extraits célèbres des Mémoires d'Outre-Tombe qui ponctuaient chaque espace du lugubre château qu'elle a fait revivre par la magie du verbe de l'écrivain. Moment de grâce suspendue dans l'espace du Temps ! Rêveries.
La journée déroule ses heures consacrées aux promenades bucoliques et maritimes.

Ce séjour breton tourne décidément aux retrouvailles de la famille Viviani puisque nous partons sur les traces de l’hôtel Chateaubriand tenu autrefois par les Simon-Viviani, Louis et Jeanne, ma grand tante, auxquels succédèrent Régis et Jeannine, leur fille… Aujourd'hui, nommé Hôtel des Acacias, face à la la plage du Sillon, il me paraît aussi pimpant et fréquenté qu'autrefois...
Justement nous sommes attendus par Jeannine et Régis qui nous ont invités à dîner dans leur appartement chic... issime ! avec vue sur la mer d'ardoise qui flambera au soleil couchant Comme hier, souvenirs, souvenirs et table exquise… comme hier nous parlons de la future fête Viviani qui nous réunira, à Marignana, dans le berceau familial corse, au printemps prochain.

Lundi, nous "décompressons" et jeûnons après ces agapes à répétition. Le temps est toujours aussi peu engageant… L’après-midi, cap sur les plages situées à l’Ouest de St Lunaire qui défilent sans nous retenir : St Briac, St Cast puis St Jacut de la Mer qui nous offre une pause sur paysage panoramique et un rafraîchissement-crêpes dans un bistrot placé au sommet d'un château d’eau qui s'élève à plus de 100 mètres d'altitude, au-dessus de la mer.  Belle perspective ! d'un coup d'œil, nous balayons le paysage. Nous prenons du recul afin de saisir la beauté de cette côte d’Émeraude aux belles échancrures.

Mardi : Dinan. À 20 km de l’embouchure de la Rance, nous ouvrons les portes de cette merveilleuse ville féodale encore effervescente. Mais ce sont les derniers soubresauts de la fête médiévale qui a battu son plein, le week-end passé.
Nous avons préféré la visiter après les flonflons de la fête et commençons par le château seigneurial en majesté ! cela nous permettra d’entretenir notre forme physique car monter et descendre les rudes escaliers de pierre des souterrains aux combles est un bon exercice. Dans le donjon, édifié au XIVe siècle, nous consacrons un moment à l'exposition qui nous plonge au cœur du Moyen-Âge avec dessins, peintures, commentaires manuscrits, objets d’art profanes et sacrés qui ressuscitent le passé de la riche cité de Dinan.
Au sommet de la tour, comme tout touriste bien "élevé" nous contemplons, essoufflés, la vue panoramique forcément "admirable" puis dévalons quatre étages d'escalier en colimaçon à donner le tournis, pour nous retrouver dans l'espace- cuisine, sombre à souhait et très évocateur. Nous sommes maintenant dans les bas-fonds de la tour Coëtquen. Il fait sombre dans l' impressionnante salle voûtée ruisselante d'humidité où reposent de sidérants gisants médiévaux : couchés pour l'éternité, parfois à demi immergés dans une flaque d'eau, ils ne perdent rien de leur majestueuse prestance, beaux indifférents à l'indéniable présence.
Une exposition photographique « Regards sur Dinan, il y a cent ans » complète notre visite au château ! Nous émergeons à l'air libre. Il fait doux dans les ruelles ensoleillées. Nous découvrons l’église Saint Malo, aimablement cornaqués par par une jeune étudiante de la SPREV (voir Dol) puis nous zigzaguons dans la petite ville, l’œil aux aguets — et même l’oreille que Dame Béatrice et son psaltéron charment un temps. Finalement la faim nous conduit à fréquenter l’auberge du Pélican, où une bavette salutaire nous redonne de l’allant. Requinqués, nous descendons la très longue, pentue et pittoresque rue du Jerzual très animée qui aboutit au rafraîchissant port sur la Rance. Nous y prendrions bien racine ou bateau sur l'eau, mais il faut remonter la pente abrupte pour rejoindre le jardin anglais, où momentanément épuisés, nous nous reposons en admirant distraitement l'architecture paysagère à l'anglaise avant d'entrer dans l’église Saint Sauveur, propice au repos des touristes fatigués. Enfin, nous atteignons la porte Saint Louis où est stationné notre véhicule.

Mercredi, Marie-Hélène a voulu tremper cuisses et mollets dans la Manche, respirer l'air marin et se souvenir du film qu'Éric Rohmer tourna sur la plage de Saint Lunaire : "Conte d'été" (je crois…). Ses coquettes villas donnent sur un longue terrasse piétonnière qui domine la petite plage familiale dessinant, un demi-cercle harmonieux. Envie de farnienter pieds dans l'eau mais il est temps de monter à l'assaut de la ville des Corsaires, Saint-Malo. Nous faisons l'incontournable tour des remparts fouettés par le vent aigre qui baigne nos têtes nues. Beau site maritime éclairé d'une lumière diffuse. La promenade dans le dédale des rues intra-Muros nous replonge au cœur de l'enfance de Chateaubriand. Pause recueillie devant la Maison natale de l'Enchanteur. Une courte escapade nous mène au port de Saint Servan ; au pied de la tour Solidor, nous évoquons Suzy chanteuse de gouallantes dont le peintre Roger Toulouse fit le portrait en femme solaire.

Jeudi, nous prenons le chemin du retour. Au revoir St Lunaire… qui n'a jamais si bien porté son nom à force de bouder le soleil ! Lumière de lune et perles d'eau.
Avant de rejoindre nos pénates orléanais, nous prenons le chemin des écoliers autour de Vitré pour visiter la Collégiale Saint-Marie Madeleine à Champeau à 9 km au Nord-Ouest de Vitré. Malheureusement une brigade de couvreurs restauraient sa toiture endommagée. Toutefois, seuls dans l'édifice nous avons eu le loisir d 'apprécier l'élégance du chœur, les vitraux et les stalles sculptées.
Le dernier sourire de Bretagne se matérialisa au Château des Rochers-Sévigné, belle demeure solide où la Marquise, née Marie de Rabutin Chantal se plut à faire de longs séjours, s'occupant de son domaine, supervisant les travaux avec une morgue tout aristocratique que n'ont pas manqué de critiquer les Bretons d'hier et d'aujourd'hui.
Les jardins nous ravissent,la chapelle de style classique a belle allure, notre guide nous paraît compétente mais nous ne verrons que deux pièces du château, certes spacieuses.... garnies de beaux meubles et de souvenirs dont les lettres spirituelles, émouvantes d'une mère à sa fille adorée qui vit loin d'elle, sur ses terres de Grignan, au grand désespoir de la maternelle marquise... Douleur intime qui nous a valu l'une des plus belles correspondances du XVIIe siècle.

15 heures, retour à Orléans... Bonjour la Loire !
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